mercredi 3 décembre 2014

Chronique du tueur du roi - Patrick Rothfuss - ****


Quatrième de couverture:
J'ai libéré des princesses. J'ai incendié la ville de Trebon. J'ai suivi des pistes au clair de lune que personne n'oserait même évoquer. J'ai conversé avec des dieux, aimé des femmes et écrit des chansons qui font pleurer les ménestrels.
J'ai été exclu de l'Université à un âge où l'on est encore trop jeune pour y entrer. J'y étais allé pour apprendre la magie, celle dont on parle dans les histoires. Je voulais apprendre le nom du vent.
Mon nom est Kvothe
Vous avez dû entendre parler de moi.
Remarque:
La fantasy n'est d'ordinaire pas ma tasse de thé. Lu sur les conseils d'un ami.
Bonne série, dans l'attente du troisième jour... (qui devait paraître en 2014).

"Quel effet ça fait de savoir où on va ?"

dimanche 16 novembre 2014

L'Aleph - Jorge Luis Borges - *****

Une évocation récente du mythe du minotaure m'a rappelé cette magnifique nouvelle.


Quatrième:
L'Aleph restera, je crois, comme le recueil de la maturité de Borges conteur. Ses récits précédents, le plus souvent, n'ont ni intrigue ni personnages. Ce sont des exposés quasi axiomatiques d'une situation abstraite qui, poussée à l'extrême en tout sens concevable, se révèle vertigineuse.Les nouvelles de L'Aleph sont moins roides, plus concrètes. Certaines touchent au roman policier, sans d'ailleurs en être plus humaines. Toutes comportent l'élément de symétrie fondamentale, où j'aperçois pour ma part le ressort ultime de l'art de Borges. Ainsi, dans L'Immortel : s'il existe quelque part une source dont l'eau procure l'immortalité, il en est nécessairement ailleurs une autre qui la reprend. Et ainsi de suite...Borges : inventeur du conte métaphysique. Je retournerai volontiers en sa faveur la définition qu'il a proposée de la théologie : une variété de la littérature fantastique. Ses contes, qui sont aussi des démonstrations, constituent aussi bien une problématique anxieuse des impasses de la théologie.
Roger Caillois

Grosse miette :
La Demeure d’Astérion



Et la reine donna le jour à un fils qui s’appela Astérion.

APOLLODORE, Bibl. III, L.


Je sais qu’on m’accuse d’orgueil, peut-être de misanthropie, peut-être de démence. Ces accusations (que je punirai le moment venu) sont ridicules. Il est exact que je ne sors pas de ma maison ; mais il est moins exact que les portes de celle-ci, dont le nombre est infini, sont ouvertes jour et nuit aux hommes et aussi aux bêtes. Entre qui veut. Il ne trouvera pas de vains ornements féminins, ni l’étrange faste des palais, mais la tranquillité et la solitude. Il trouvera aussi une demeure comme il n’en existe aucune autre sur la surface de la terre. (Ceux qui prétendent qu’il y en a une semblable en Égypte sont des menteurs.)

Jusqu’à mes calomniateurs reconnaissent qu’il n’y a pas un seul meuble dans la maison. Selon une autre fable grotesque, je serais, moi, Astérion, un prisonnier. Dois-je répéter qu’aucune porte n’est fermée ? Dois-je ajouter qu’il n’y a pas une seule serrure ? Du reste, il m’est arrivé, au crépuscule, de sortir dans la rue. Si je suis rentré avant la nuit, c’est à cause de la peur qu’ont provoquée en moi les visages des gens de la foule, visages sans relief ni couleur, comme la paume de la main. Le soleil était déjà couché. Mais le gémissement abandonné d’un enfant et les supplications stupides de la multitude m’avertirent que j’étais reconnu. Les gens priaient, fuyaient, s’agenouillaient. Certains montaient sur le perron du temple des Haches. D'autres ramassaient les pierres. L’un des passants, je crois, se cacha dans la mer. Ce n’est pas pour rien que ma mère est une reine. Je ne peux pas être confondu avec le vulgaire, comme ma modestie le désire.

Je suis unique ; c’est un fait. Ce qu’un homme peut communiquer à d’autres hommes ne m’intéresse pas. Comme le philosophe, je pense que l’art d’écrire ne peut rien transmettre. Tout détail importun et banal n’a pas place dans mon esprit, lequel est à la mesure du grand. Jamais je n’ai retenu la différence entre une lettre et une autre. Je ne sais quelle généreuse impatience m’a interdit d’apprendre à lire. Quelquefois, je le regrette, car les nuits et les jours sont longs.

Il est clair que je ne manque pas de distractions. Semblable au mouton qui fonce, je me précipite dans les galeries de pierre jusqu’à tomber sur le sol, pris de vertige. Je me cache dans l’ombre d’une citerne ou au détour d’un couloir et j’imagine qu’on me poursuit. Il y a des terrasses d’où je me laisse tomber jusqu’à en rester ensanglanté. À toute heure, je joue à être endormi, fermant les yeux et respirant puissamment. (Parfois, j’ai dormi réellement, parfois la couleur du jour était changée quand j’ai ouvert les yeux.) Mais, de tant de jeux, je préfère le jeu de l’autre Astérion. Je me figure qu’il vient me rendre visite et que je lui montre la demeure. Avec de grandes marques de politesse, je lui dis « Maintenant, nous débouchons dans une autre cour », ou : « Je te disais bien que cette conduite d’eau te plairait », ou : « Maintenant, tu vas voir une citerne que le sable a remplie », ou : « Tu vas voir comme bifurque la cave. » Quelquefois, je me trompe et nous rions tous deux de bon cœur.

Je ne me suis pas contenté d’inventer ce jeu. Je méditais sur ma demeure. Toutes les parties de celle-ci sont répétées plusieurs fois. Chaque endroit est un autre endroit. Il n’y a pas un puits, une cour, un abreuvoir, une mangeoire ; les mangeoires, les abreuvoirs, les cours, les puits sont quatorze [sont en nombre infini]. La demeure a l’échelle du monde ou plutôt, elle est le monde. Cependant, à force de lasser les cours avec un puits et les galeries poussiéreuses de pierre grise, je me suis risqué dans la rue, j’ai vu le temple des Haches et la mer. Ceci, je ne l’ai pas compris, jusqu’à ce qu’une vision nocturne me révèle que les mers et les temples sont aussi quatorze [sont en nombre infini]. Tout est plusieurs fois, quatorze fois. Mais il y a deux choses au monde qui paraissent n’exister qu’une seule fois : là-haut le soleil enchaîné ; ici-bas Astérion. Peut-être ai-je créé les étoiles, le soleil et l’immense demeure, mais je ne m’en souviens plus.

Tous les neuf ans, neuf êtres humains pénètrent dans la maison pour que je les délivre de toute souffrance. J’entends leurs pas et leurs voix au fond des galeries de pierre, et je cours joyeusement à leur rencontre. Ils tombent l’un après l’autre, sans même que mes mains soient tachées de sang. Ils restent où ils sont tombés. Et leurs cadavres m’aident à distinguer des autres telle ou telle galerie. J’ignore qui ils sont. Mais je sais que l’un d’eux, au moment de mourir, annonça qu’un jour viendrait mon rédempteur. Depuis lors, la solitude ne me fait plus souffrir, parce que je sais que mon rédempteur existe et qu’à la fin il se lèvera sur la poussière. Si je pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit de ses pas. Pourvu qu’il me conduise dans un lieu où il y aura moins de galeries et moins de portes. Comment sera mon rédempteur ? Je me le demande. Sera-t-il un taureau ou un homme ? Sera-t-il un taureau à tête d’homme ? Ou sera-t-il comme moi ?

Le soleil du matin resplendissait sur l’épée de bronze, où il n’y avait déjà plus trace de sang. « Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure s’est à peine défendu. »

Jorge Luis Borges - L'Aleph


Remarque:

vendredi 10 octobre 2014

La poétique de l'espace - Gaston Bachelard - ****



Il y aura toujours plus de choses dans un coffret fermé que dans un coffret ouvert. La vérification fait mourir les images. Toujours, imaginer sera plus grand que vivre.
Gaston Bachelard - La poétique de l'espace

samedi 13 septembre 2014

L'ecclésiaste - *****

Lu après Philosophie sentimentale de Schiffter. Je n'aurais jamais cru adhérer autant à un texte biblique.

Quatrième:
Rédigé en hébreu quelque deux siècles avant Jésus-Christ, le Cohélet - ou l'Ecclésiaste - a toujours fasciné philosophes, théologiens et poètes. Nombre de ses aphorismes sont passés dans le langage commun : "Un temps pour tout", "Rien de nouveau sous le soleil", "Vanité des vanités" ... Inscrit dans l'Ancien Testament, L'Ecclésiaste demeure un texte énigmatique dont le caractère religieux n'est pas évident. Ernest Renan en propose une des plus belles traductions qu'il fait suivre d'une étude sur l'âge et le caractère du livre. "Il suffit de lire les autres Ecclésiastes pour s'apercevoir que la traduction de Renan est de loin la plus limpide, la plus concise et la plus belle."



Extrait:
Vanité des vanités, disait Cohélet ; vanité des vanités ; tout est vanité !
Quel profit l’homme retire-t-il des peines qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va ; une génération lui succède ; la terre cependant reste à sa place. Le soleil se lève ; le soleil se couche ; puis il regagne en hâte le point où il doit se lever de nouveau. Tantôt soufflant vers le sud, ensuite passant au nord, le vent tourne, tourne sans cesse, et revient éternellement sur les cercles qu’il a déjà tracés. Tous les fleuves se jettent dans la mer, et la mer ne regorge pas, et les fleuves reviennent au lieu d’où ils coulent pour couler encore.
Tout est difficile à expliquer ; l’homme ne peut rendre compte de rien ; l’œil ne se rassasie pas à force de voir ; l’oreille ne se remplit pas à force d’entendre.
Ce qui a été, c’est ce qui sera ; ce qui est arrivé arrivera encore. Rien de nouveau sous le soleil. Quand on vous dit de quelque chose : « Venez voir, c’est du neuf », n’en croyez rien ; la chose dont il s’agit a déjà existé dans les siècles qui nous ont précédés. Les hommes d’autrefois n’ont plus chez nous de mémoire ; les hommes de l’avenir n’en laisseront pas davantage chez ceux qui viendront après eux.
L'ecclésiaste - (Trad E. Renan)


jeudi 29 mai 2014

Lettre à Ménécée - Epicure - ***

« Celui de tous les maux qui nous donne le plus d’horreur, la mort, n’est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n’est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n’existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu’elle n’a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus. Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l’appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n’a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n’estime pas non plus qu’il y ait le moindre mal à ne plus vivre. »
Epicure, Lettre à Ménécée, 125-126

Oui, pas de problème, mais qu'en est-il de la mort des autres ?

samedi 26 avril 2014

Faire l'amour - Jean-Philippe Toussaint - ****



Quatrième:

C'est l'histoire d'une rupture amoureuse, une nuit, à Tokyo. C'est la nuit où nous avons fait l'amour ensemble pour la dernière fois. Mais combien de fois avons-nous fait l'amour ensemble pour la dernière fois ? Je ne sais pas, souvent.


Faire l'amour est le premier volet de l'ensemble romanesque Marie Madeleine Marguerite de Montalte, qui retrace quatre saisons de la vie de Marie, créatrice de haute couture et compagne du narrateur : Faire l'amour, hiver (2002) ; Fuir, été (2005, prix Médicis) ; La Vérité sur Marie, printemps-été (2009, prix Décembre) ; Nue, automne-hiver (2013).



Le début du roman:

J’avais fait remplir un flacon d’acide chlorhydrique, et je le gardais sur moi en permanence, avec l’idée de le jeter un jour à la gueule de quelqu’un. Il me suffirait d’ouvrir le flacon, un flacon de verre coloré qui avait contenu auparavant de l’eau oxygénée, de viser les yeux et de m’enfuir. Je me sentais curieusement apaisé depuis que je m’étais procuré ce flacon de liquide ambré et corrosif, qui pimentait mes heures et acérait mes pensées. Mais Marie se demandait, avec une inquiétude peut-être justifiée, si ce n’était pas dans mes yeux à moi, dans mon propre regard, que cet acide finirait. Ou dans sa gueule à elle, dans son visage en pleurs depuis tant de semaines. Non, je ne crois pas, lui disais-je avec un gentil sourire de dénégation. Non, je ne crois pas, Marie, et, de la main, sans la quitter des yeux, je caressais doucement le galbe du flacon dans la poche de ma veste.

samedi 19 avril 2014

Les lois fondamentales de la stupidité humaine - Carlo M. Cipolla - *****

Faites vous partie de la catégorie des Intelligents, des Bandits, des Crétins ou des Stupides ?
Petit livre assez jubilatoire où l'auteur s'amuse à parodier un essai de sciences humaines.

Quatrième:
Comment évaluer l'impact de la stupidité humaine sur nos destins personnels et sur l'ensemble de la société ? Vaste question à laquelle l'historien Carlo Maria Cipolla décida en 1976 de répondre par un bref essai au ton éminemment scientifique.Au ton et seulement au ton : car derrière la rhétorique académique se cache un texte désopilant, qui ressortit au genre « pseudo-scientifique », comme en son temps le célèbre Cantatrix Sopranica de Georges Perec, ou aujourd'hui les très sérieuses recherches de Jean-Baptiste Botul.Diffusé en 1976 aux États-Unis sous la forme d'une édition limitée et numérotée, Les lois fondamentales de la stupidité humaine a été publié en italien en 1988 (dans un recueil générique intitulé Allegro ma non troppo), et pour la première fois dans sa langue originale, l'anglais, à l'automne 2011.

Extrait

« VIII. Quatrième loi fondamentale

Les crétins, ceux qui occupent la zone C dans notre système, ignorent en général à quel point les gens stupides sont dangereux. Rien d’étonnant à cela : ce n’est qu’un signe de plus de leur crétinerie. Ce qui est vraiment surprenant, c’est que les êtres intelligents et les bandits ne sont guère plus capables de reconnaître la puissance destructrice propre à la stupidité. Il est extrêmement difficile d’expliquer pourquoi il en est ainsi, et l’on peut seulement observer que, face à des gens stupides, des hommes intelligents et des bandits commettent souvent l’erreur de se laisser aller à l’autosatisfaction dédaigneuse au lieu de faire des provisions d’adrénaline et de bâtir leurs défenses.
On pourrait croire que l’homme stupide ne nuit qu’à lui-même, mais ce serait confondre stupidité et crétinerie. Nous sommes parfois tentés de nous associer avec un être stupide afin qu’il serve nos objectifs. Les conséquences sont toujours désastreuses parce que a) ce calcul repose sur un malentendu complet quant à la nature essentielle de la stupidité et b) il offre à l’individu stupide une marge de manœuvre encore plus vaste pour l’exercice de ses talents. On espère toujours manipuler l’être stupide, et d’ailleurs on y parvient, jusqu’à un certain point. Mais, en raison du côté erratique de leur comportement, on ne peut prévoir toutes les actions et réactions des gens stupides et on se retrouve très vite pulvérisé par les décisions imprévisibles de l’associé stupide.
C’est ce que résume clairement la Quatrième Loi fondamentale, stipulant que
« Les non-stupides sous-estiment toujours la puissance destructrice des stupides. En particulier, les non-stupides oublient sans cesse qu’en tous temps, en tous lieux et dans toutes les circonstances, traiter et/ou s’associer avec des gens stupides se révèle immanquablement être une erreur coûteuse ».
Depuis des siècles, depuis des millénaires, dans la vie publique comme dans la vie privée, d’innombrables individus ont omis de prendre en considération la Quatrième Loi fondamentale, ce qui s’est traduit par des pertes inimaginables pour l’humanité. »

Carlo M. Cipolla - Les lois fondamentales de la stupidité humaine



vendredi 4 avril 2014

Logicocomix - Doxiadis & autres - *****

Excellente BD sur la vie de Bertrand Russel et à travers elle sur la recherche des fondements des mathématiques.
Cette BD a ceci de particulier qu'elle mets aussi en scène les créateurs de la BD et nous fait part de leurs interrogations quant à la construction du récit.
On y croisera entre autres : Wittgenstein, Whitehead, Frege, Gödel, Poincaré...
Très enrichissant pour quelqu'un qui, comme moi, n'y connaissait pas grand chose en histoire de mathématiques.

mercredi 12 février 2014

Comment vivre ? - Sarah Bakewell - *****


Travail respectueux de l'oeuvre de Montaigne, le découpage par "questions" offre un éclairage intéressant sur certaines problématiques

Quatrième:
Une vivante et remarquable introduction à l'oeuvre de Montaigne, à la fois érudite et accessible à tous.
Selon une démarche à la fois chronologique et thématique, Sarah Bakewell nous convie à un voyage riche en anecdotes savoureuses dans ce qui a à la fois inspiré et nourri la rédaction des Essais : la vie personnelle du penseur et les événements qui ont marqué son temps. En vingt chapitres, qui sont autant de réponses à la question Comment vivre ?, au fil de ce qui semble une conversation improvisée, on découvre ainsi le philosophe et le chrétien, l'homme solitaire et l'homme politique, mais aussi le voyageur, dans un monde rythmé par les guerres de religion, la dureté et la mort.
Avec une grande érudition mais aussi une grande clarté, elle restitue ainsi l'essentiel des textes et des intuitions du philosophe. Les Essais y sont exploités comme un guide pour se connaître soi-même, dans toute leur dimension pragmatique, et comme une quête de la meilleure manière de composer sa vie et de l'élever à la hauteur d'une oeuvre d'art.


lundi 20 janvier 2014

Le chardonneret - Donna Tartt - *****

Une oeuvre envoûtante, dense. Il faudra que je retente la lecture de Le petit copain qui ne m'avait déçu après Le maître des illusions que j'avais adoré.

Quatrième:
Qui est Theo ? Que lui est-il arrivé à New York pour qu'il soit aujourd'hui, quatorze ans plus tard, cloîtré dans une chambre d'hôtel à Amsterdam comme une bête traquée ? Qu'est devenu le jeune garçon de treize ans qui visitait des musées avec sa mère et menait une vie de collégien ordinaire ? D'où vient cette toile de maître, Le Chardonneret, qu'il transporte partout avec lui ? À la fois roman d'initiation à la Dickens et thriller éminemment moderne, fouillant les angoisses, les peurs et les vices de l'Amérique contemporaine, Le Chardonneret laisse le lecteur essoufflé, ébloui et encore une fois conquis par le talent hors du commun de Donna Tartt.



Miette :

Parce que je me fiche de ce que quiconque dira, avec quelle fréquence ou de quelle manière charmeuse : personne ne pourra jamais au grand jamais me persuader que la vie est un cadeau génial et généreux. Parce que la vérité, c’est que la vie est une catastrophe. L’idée même d’être en vie – de devoir chercher de la nourriture, des amis et quoi que ce soit d’autre que nous fassions – est une catastrophe. Oubliez tout ce non-sens ridicule dont tout le monde vous rebat les oreilles : le miracle d’un nouveau-né, la joie d’une simple fleur qui s’ouvre, La Vie Est Trop Merveilleuse Pour Être Comprise, etc. Pour moi – et je continuerai à le répéter obstinément jusqu’à ma mort, jusqu’à ce que je casse mon ingrate pipe nihiliste et sois trop faible pour le répéter : mieux vaut ne jamais être né que d’être né dans ce cloaque. Cratère de lits d’hôpitaux, de cercueils et de cœurs brisés. Ni libération, ni appel, ni « seconde chance », pour employer une expression favorite de Xandra, aucun progrès sinon l’âge et la dégradation, aucune issue sinon la mort. [...]
Et peut-être est-ce ridicule de poursuivre dans cette veine, bien que cela n’ait pas d’importance puisque personne ne lira jamais ces pages, mais cela a-t-il du sens de savoir que l’histoire se termine mal pour tout le monde, même les plus heureux d’entre nous, et qu’au bout du compte nous perdons tout ce qui nous tient à cœur – et en même temps de savoir aussi, en dépit de tout cela, et même si les dés sont cruellement pipés, qu’il est possible de jouer avec une sorte de joie ?

Donna Tartt - Le chardonneret