samedi 19 octobre 2013

Le joueur d'échecs - Stefan Zweig - ****

Ce roman (nouvelle ?) trainait depuis quelques temps dans ma PAL (pile à lire). Je l'ai lu comme une parenthèse dans des lectures en peu plus trapues. C'est un livre qui se lit d'une traite, très prenant, en est-il pour autant un chef-d’œuvre ? Une fois encore, lorsque la critique précède la lecture, les risques de déception grimpent en flèche. En fait, je crois que cette œuvre ne prend sa mesure que lorsqu'elle est remise dans son contexte d'écriture (nazisme, suicide de Zweig, ...).

Quatrième:
Czentowicz, champion d'échecs arrogant, esprit borné à outrance, inculte et étonnamment stupide, occupe le premier plan jusqu'à l'entrée en scène de Monsieur B. Dès lors que cet aristocrate autrichien s'intéresse à la partie livrée entre le champion et les passagers amateurs, la direction du texte bascule. Par un effet de symétrie, la narration se transforme en un face à face tendu entre un esprit brillant et rapide à l'intelligence abstraite et un cerveau au pragmatisme brutal, incapable de projection véritable. Mise en scène percutante de la résurrection de la folie, cette nouvelle oscille entre ouverture et enfermement. Dans cette avancée implacable de la stupidité destructrice, allégorie de la victoire du nazisme mais aussi chef-d'oeuvre de composition, Zweig s'intéresse peu à la survie du corps, préférant montrer les réactions de l'esprit, qui trouve un symbole parfait dans ce jeu éminemment intelligent mais désespérément stérile. Publié en 1943, un an après le suicide de son auteur, Le Joueur d'échecs fait figure de testament dans l'oeuvre de Zweig. --Sana Tang-Léopold Wauters

Extrait:

« Une chambre particulière dans un hôtel – peut-on rêver traitement plus humain, n’est-ce pas ? Et pourtant, croyez-moi, c’était pour nous appliquer une méthode plus raffinée, mais non pas plus humaine, qu’on nous logeait en « personnalités importantes » dans des chambres d’hôtel particulières et convenablement chauffées, plutôt que dans des baraques glacées et avec vingt personnes. Car la pression qu’on voulait exercer sur nous pour nous arracher les renseignements recherchés était d’une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles : c’était l’isolement le plus raffiné qui se puisse imaginer. On ne nous faisait rien – on nous laissait seulement en face du néant, car il est notoire qu’aucune « chose au monde n’oppresse davantage l’âme humaine. En créant autour de chacun de nous un vide complet, en nous confinant dans une chambre hermétiquement fermée au monde extérieur, on usait d’un moyen de pression qui devait nous desserrer les lèvres, de l’intérieur, plus sûrement que les coups et le froid. Au premier abord, la chambre qu’on m’assigna n’avait rien d’inconfortable. Elle possédait une porte, un lit, une chaise, une cuvette, une fenêtre grillagée. Mais la porte demeurait verrouillée nuit et jour, il m’était interdit d’avoir un livre, un journal, du papier ou un crayon. Et la fenêtre s’ouvrait sur un mur coupe-feu. Autour de moi, c’était le néant, j’y étais tout entier plongé. On m’avait pris ma montre, afin que je ne mesure plus le temps, mon crayon, afin que je ne puisse plus écrire, mon couteau, afin que je ne m’ouvre pas les veines : on me refusa même la légère griserie d’une cigarette. Je ne voyais jamais aucune figure humaine, sauf celle du gardien, qui avait ordre de ne pas m’adresser la parole et de ne répondre à aucune question. Je n’entendais jamais une voix humaine. Jour et nuit, les yeux, les oreilles, tous les sens ne « trouvaient pas le moindre aliment, on restait seul, désespérément seul en face de soi-même, avec son corps et quatre ou cinq objets muets : la table, le lit, la fenêtre, la cuvette. On vivait comme le plongeur sous sa cloche de verre, dans ce noir océan de silence, mais un plongeur qui pressent déjà que la corde qui le reliait au monde s’est rompue et qu’on ne le remontera jamais de ces profondeurs muettes. On n’avait rien à faire, rien à entendre, rien à voir, autour de soi régnait le néant vertigineux, un vide sans dimensions dans l’espace et dans le temps. On allait et venait dans sa « chambre, avec des pensées qui vous trottaient et vous venaient dans la tête, sans trêve, suivant le même mouvement. Mais, si dépourvues de matière qu’elles paraissent, les pensées aussi ont besoin d’un point d’appui, faute de quoi elles se mettent à tourner sur elles-mêmes dans une ronde folle. Elles ne supportent pas le néant, elles non plus. On attendait quelque chose du matin au soir, mais il n’arrivait rien. On attendait, recommençait à attendre. Il n’arrivait rien. À attendre, attendre et attendre, les pensées tournaient, tournaient dans votre tête, jusqu’à ce que les tempes vous fassent mal. Il n’arrivait toujours rien. On restait seul. Seul. Seul. »
Stefan Zweig - Le joueur d'échec



samedi 5 octobre 2013

Platon et son ornithorynque ... - Thomas Cathcart et Daniel Klein - ****


" Ce sont mes principes, si tu ne les aimes pas, j'en ai d'autres ", disait Groucho Marx, à qui ce livre est dédié. Voici une véritable introduction à la philosophie qui a pour ambition de puiser ses exemples dans le riche patrimoine mondial des histoires drôles. Pour aborder sans crainte Platon, Kant, Aristote ou Descartes.
EXISTENTIALISME : " l'existence précède l'essence ". Si vous êtes d'accord avec cette proposition, vous êtes un existentialiste. Sinon vous existez quand même, mais vous êtes essentiellement en dehors du coup.
Après avoir obtenu leur diplôme de philosophie à Harvard, Thomas Cathcart et Daniel Klein ont mené une carrière classique : Thomas s'est occupé des gangs de rue à Chicago et à fréquenté plusieurs instituts de théologie. Daniel a longtemps écrit des textes comiques pour le théâtre et se consacre aujourd'hui à l'écriture de thrillers.

Extrait:

Madame Bongrain intente un procès à un homme pour diffamation de sa personne, au motif qu’il l’a traitée de truie. L’homme est jugé coupable et condamné à payer des dommages et intérêts. À l’issue du procès, il demande au juge : « Cela veut-il dire que je ne peux plus traiter Madame Bongrain de truie ? »
Le juge répond : « Vous avez parfaitement compris. »
« Et cela signifie-t-il que je ne peux pas surnommer une truie Madame Bongrain ? »
« Non », dit le juge, « vous êtes libre de surnommer une truie Madame Bongrain. Il n’y a aucun délit à cela. »
L’homme regarde Madame Bongrain droit dans les yeux et lui dit : « Bonne journée, Madame Bongrain. »

 Thomas Cathcart & Daniel Clain - Platon et son ornithorynque entrent dans un bar