samedi 9 mars 2013

Éloge des frontières - Régis Debray - ****


Voici un petit livre qui bouscule quelque peu les idées reçues et le conformisme bien pensant. Il est la transcription d'une conférence donnée au Japon.

Régis Debray y rappelle que la frontière, mise à mal par la mondialisation, par le "village global", est un élément constitutif de notre être, que la limite, qu'elle soit géographique ou psychique (moi/autre) est ce qui permet de nous définir. Il remet en avant les mythes fondateurs où la clôture, même symbolique, permet de définir le peuple. La limite, la séparation, structurent, donnent la "forme". De Dieu qui sépare la lumière des ténèbres, à Romulus qui trace le pomérium avec son soc de charrue, des villes qui définissent leurs enceintes, ou tout simplement de la peau, la frontière est partout.


Quatrième de couverture:

«En France, tout ce qui pèse et qui compte se veut et se dit "sans frontières". Et si le sans-frontiérisme était un leurre, une fuite, une lâcheté? Partout sur la mappemonde, et contre toute attente, se creusent ou renaissent de nouvelles et d'antiques frontières. Telle est la réalité. En bon Européen, je choisis de célébrer ce que d'autres déplorent : la frontière comme vaccin contre l'épidémie des murs, remède à l'indifférence et sauvegarde du vivant. D'où ce Manifeste à rebrousse-poil, qui étonne et détonne, mais qui, déchiffrant notre passé, ose faire face à l'avenir.» Régis Debray.




Extrait:

Faut-il le préciser ? Interface polémique entre l’organisme et le monde extérieur, la peau est aussi loin du rideau étanche qu’une frontière digne de ce nom l’est d’un mur. Le mur interdit le passage ; la frontière le régule. Dire d’une frontière qu’elle est une passoire, c’est lui rendre son dû : elle est là pour filtrer. Un système vivant est un système thermodynamique d’échanges avec le milieu, terrestre, maritime, social. Les pores font respirer la peau, comme les ports, les îles, et les ponts, les fleuves.

...

On n’a jamais tant parlé de biodiversité que depuis le triomphe de l’uniformité. Le hot-dog n’a-t-il pas fait la gloire du camembert de Normandie, l’autoroute du chemin de grande randonnée, la tour en verre de la poutre apparente ? Effet fermette, effet boomerang. Dans un premier temps, le réseau triomphe du site, jusqu’au moment, deuxième temps, où il l’exalte par contrecoup, et parfois pour le pire. Ce choc en retour aura été la punition du non-lieu, de l’ou-topos, du n’importe où cher aux commissaires du bonheur universel. Nos partisans du socialisme sans rivage ont éludé la question de la frontière, marque de fïnitude, stigmate d’imperfection. D’où leur prédilection pour les îles ou les déserts inhabités, où les Platon, les Thomas More, les Etienne Cabet, les Robert Owen et bien d’autres ont rêvé de bâtir l’homme nouveau. L’isolat évitait la question fatidique. Pas de voisins, rien à négocier, seul au monde. « L’Internationale sera le genre humain », cela commence par un « ici ou là, peu importe », et finit par « en dehors du parti, point de salut ».

...

L’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès, mais d’un déficit de frontières. Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre.Les affaires publiques et les intérêts privés. Entre le citoyen et l’individu, le nous et le moi-je. Entre l’être et son paraître. Entre la banque et le casino. Entre l’info et la pub. Entre l’école, d’un côté, les croyances et les intérêts, de l’autre. Entre l’État et les lobbies. Le vestiaire et la pelouse. La chambre et le bureau du chef de l’État. Et ainsi de suite. Conflits d’intérêts et liaisons dangereuses résultent d’une confusion des sphères.

Régis Debray - Éloge des frontières



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