dimanche 25 janvier 2015

Avance rapide - Mickael Marshall - ****

Présentation:

Quand on met Stark sur un travail, c'est que toutes les solutions classiques ont échoué. Son intervention étant souvent celle de la dernière chance, il serait malvenu de se formaliser de méthodes plutôt... détonantes.
En un monde où la technologie peut faire des merveilles – mais les fait systématiquement de travers –, Stark a pour vocation de remettre les choses dans le bon sens. Cette fois, il doit retrouver un certain Alkland, un ingénieur du « Centre », qui vient de disparaître sans laisser de traces : le genre d'homme qu'il vaudrait mieux éviter de chercher quand on veut finir ses jours en paix.
Dans la gigantesque Cité, dont chaque quartier, livré à l'anarchie, est l'équivalent d'une ville du XXe siècle, Stark va bientôt vérifier une des plus vieilles lois de l'humanité : résoudre un problème est un moyen sur d'en faire surgir d'autres ! Sa vie tournant au cauchemar – littéralement ! –, Stark s'énerve de plus en plus. Une bonne raison pour éviter de croiser son chemin !


Miettes :


Regardez-moi. D’accord, je porte de chouettes fringues, mais ça n’a rien à voir. Les vêtements ne coûtent rien ; c’est l’apparence qui compte. Je ne donne pas l’impression d’avoir peur. Ni celle d’être dégoûté par ce que je vois. J’ai l’air d’un type prêt à vous enfoncer une lame dans la gorge avant même que vous ayez commencé à m’emmerder. D’un mec dont la mère est morte étouffée dans son dégueulis en pleine rue. D’un salopard qui prostitue sa sœur, pas pour l’argent mais parce qu’il la déteste, ou pour pouvoir la sauter gratuitement.
J’ai l’air d’être à ma place ici.

-oOo-

J’ai regardé longuement la salle avant de choisir une table.
Quinze minutes ont passé avant qu’une fille mince habillée de noir marche jusqu’à la table, apparemment par accident. Voyant que j’avais un menu dans les mains, elle a décidé de prendre ma commande.
Je lui ai demandé ce qu’elle me conseillait. Elle a haussé les épaules. J’ai attendu, mais elle n’a pas eu d’autre réaction. Alors j’ai choisi un plat principal au pif. Elle n’avait pas de carnet, rien pour écrire, et j’ai commencé à me demander si ce n’était pas une étudiante en dessin qui passait par hasard. Le jeu commençait à perdre de son intérêt quand elle s’est enquise de ce que je voulais boire. Je lui ai décrit ce que je désirais. Elle a quitté les lieux, toujours sans rien écrire.
J’ai fini de planifier ma vie, ayant tout le temps d’envisager plusieurs carrières, d’imaginer à quoi pourrait ressembler la compagne idéale et ce que feraient nos enfants plus tard. J’ai décidé où nous vivrions et combien de temps ; j’ai choisi les couleurs des murs de notre appartement.
Puis j’ai changé : une autre profession, une autre compagne, d’autres murs.
J’ai pensé à toutes les personnes que je connaissais et imaginé leur existence avec plus de détails encore. J’ai pris un pied fou à prédire la couleur du poil des arrière-arrière-petits-enfants de Spangle en considérant quinze partenaires possibles. J’ai eu le temps d’aller deux fois aux toilettes ; j’ai fumé un paquet de clopes presque entier ; j’ai fabriqué un très joli oiseau en origami, avec les ailes qui bougeaient et le bec qui s’ouvrait.
Enfin, l’étudiante a réapparu, tel un mirage. Je m’attendais qu’elle ait les cheveux gris et qu’elle marche avec un déambulateur. Ou alors, c’était son arrière-arrière-petite-fille qui m’apportait ma commande, sacrifiant ainsi à un rituel héréditaire et mystique passé de génération en génération.
Elle s’est approchée de la table, a posé devant moi une assiette et un verre contenant quelque chose que je n’avais jamais demandé. Puis elle a de nouveau disparu.

-oOo-

Jusque-là, je n’ai guère été impressionnant. C’est ce que vous pensez ? Vous avez peut-être raison. Je pourrais me défendre – il n’est pas facile de réagir, de courir tout le temps – mais je n’en ferai rien. Quelle importance ? Ce qui compte est trop profond, trop personnel, trop minuscule pour être expliqué. Les spectateurs ne peuvent pas comprendre. Rien de ce qui est important, vraiment important, n’impressionne : la victoire n’a de signification que pour la personne concernée. Rester en vie, par exemple. Ça a l’air si facile…
Mais parfois, naître est une épreuve insurmontable.

-oOo-


Les choses sont parfois comme elles semblent être.
C’est un résumé, une version concentrée… Attendez avant d’en tirer des conclusions.
Imaginez une rue que vous connaissez bien… Tenez, celle qui est au pied de votre appartement. Maintenant, descendez la rue en esprit. Pensez aux immeubles, aux arbres, aux craquelures dans le trottoir, à la façon dont vous vivez cette promenade.
C’est fait ? Bien. Alors, rebelote ! Mais en remontant.
Ce n’est pas la même chose, pas vrai ? La rue que vous descendez et celle que vous remontez sont très différentes. Vous savez que c’est la même, mais vos sensations ne sont pas d’accord.
Avez-vous l’impression de marcher au même endroit ? Ou celle d’avoir emprunté deux itinéraires différents ?
Quand on prend une avenue dans un sens inhabituel, il peut arriver qu’on ne la reconnaisse pas.
Et le retour est toujours plus rapide que l’aller.
Vous pensez : perception, psychologie, subjectivité.
Quelle importance ?
J’arrive au point essentiel. La perception n’a rien à voir là-dedans. Les routes sont différentes selon la direction dans laquelle on les prend. Ce n’est pas une impression ; c’est la vérité. Peu de gens s’en rendent compte et une minorité a la capacité d’y croire.

-oOo-

Parfois, on parle à un ami d’un sujet qui nous tient à cœur. On aimerait le convaincre de voir les choses comme nous. Quand on s’aperçoit qu’il ne pige pas, qu’il trouve notre souffrance inutile, quelle amertume…
C’est comme une rupture. On essaie de communiquer ses émotions, parce qu’il le faut.
Quelqu’un doit deviner notre colère, notre peur.
Mais personne ne comprend.
« Une de perdue, dix de retrouvées », qu’ils disent.
Ou : « C’est pour le mieux. »
Ou : « Tu veux des frites ? »
Ils ne comprennent pas, parce qu’ils n’étaient pas là. Ils n’ont pas vécu avec vous jour après jour, heure après heure.
Ils ignorent ce qui s’est passé, la manière dont les événements vous ont modelé, comment ils ont structuré votre univers.
Ils ne savent pas que la personne qui vous fait tant de mal est peut-être celle dont vous avez le plus besoin.
Ils ne connaissent pas votre histoire, votre passé, les colonnes de souvenirs qui vous structurent. Chacun est seul, parce que chaque existence est différente. On peut envoyer des lettres aux gens, ou leur montrer des photos, mais on ne peut pas leur faire visiter sa vie.
À moins qu’on les aime. Alors ils peuvent la réduire en cendres.

-oOo-

Aujourd’hui, les parents pensent que le réalisme est bon pour l’éducation, donc qu’il ne faut pas mentir sur le fonctionnement du monde.
Conneries !
Un esprit enfantin n’a pas besoin de réalisme. D’une certaine manière, le monde marche comme on imagine qu’il marche.

-oOo-

Avant d’être un homme, bon ou mauvais, un saint ou un psychopathe, nous sommes tous des enfants.
Moi, par exemple. Je prends les choses comme elles viennent et j’essaie d’avoir du recul. J’exerce un métier qui ne doit pas être encore très clair à vos yeux. Mais avant que j’aie cette façon de m’exprimer et cette façon de penser – avant mes cicatrices –, j’étais un enfant. Difficile à croire.
Vous vous en souvenez ? De votre enfance ?
La réponse est non. Vous croyez vous la rappeler, mais vous vous trompez. De ces jours intenses et flous il reste les bribes qui vous ont aidé à devenir ce que vous êtes aujourd’hui. Les moments où vous vous êtes senti vivant, quelques journées exceptionnelles, des sensations. Des pièces du puzzle, qui font partie de vous.
Mais vous avez oublié le reste. Impossible de vous souvenir du temps où vous étiez un gamin et où vous ne connaissiez rien d’autre.

-oOo-

Quelles sont les choses importantes de votre vie ? Celles qui vous rendent vraiment heureux ? Aimer quelqu’un si fort qu’il suffit de tendre les bras pour l’étreindre. Manger un bon repas en savourant chaque bouchée. Ce ne sont pas des impératifs biologiques. Nul besoin d’amour pour baiser, et l’homme peut tout ingérer, sauf le métal.
Les impératifs biologiques étaient les garde-fous du passé. Depuis que nous sommes descendus des arbres, ils sont devenus obsolètes. La nature sait que nous ne sommes plus entre ses mains ; elle nous fout la paix. Elle s’amuse avec les insectes et les plantes, se contentant de lâcher un virus de temps en temps pour nous rappeler son existence.
On aime avoir besoin de quelqu’un, comme quand on était petit. On mange de bonnes choses parce que l’intensité du goût nous rappelle la faim satisfaite de nos premières années.
Les plus beaux tableaux sont le reflet du coquelicot qui ployait sous la brise quand on avait deux ans. Le film le plus génial nous rappelle les moments où nous regardions le monde avec des yeux étonnés.
Tout cela permet de faire taire l’adulte, d’ouvrir la fenêtre de la cellule pour permettre à l’enfant affamé de se rassasier les yeux avant que l’obscurité retombe.

-oOo-

Mon père croyait qu’il y avait un temps pour tout. Chaque acte avait son instant. Quand il rapportait les photos des vacances, il ne les regardait pas dans la rue, pour ne pas se gâcher la joie de les découvrir au calme. Il les laissait dans l’enveloppe, rentrait à la maison, se faisait une bonne tasse de thé et s’installait dans son fauteuil. Il les déballait et les regardait une par une, savourant chaque image.

-oOo-

Ma mère m’a légué le peu de gentillesse que j’ai. Mon père m’a dévoilé la magie des livres. Entre deux couvertures, on peut trouver n’importe quoi. Les livres sont tranquilles et silencieux ; pourtant chacun d’eux est comme une porte.

-oOo-

Quand on ne sait pas ce qu’on veut, on saisit tout ce qui passe en pensant que c’est mieux parce que c’est nouveau.

-oOo-

Remarque : 8/10
Excellente surprise que la rencontre avec cet auteur que je ne connaissais pas.

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