jeudi 29 janvier 2015

Kafka sur le rivage - Haruki Murakami - *****

Un roman empreint de poésie, où il faut accepter de se laisser porter par le texte. Une réflexion sur le passé et la mémoire. C'est une oeuvre qui laisse des traces.


Présentation:
Magique, hypnotique, Kafka sur le rivage est un roman d'initiation où se déploient, avec une grâce infinie et une imagination stupéfiante, toute la profondeur et la richesse de Haruki Murakami. Une œuvre majeure, qui s'inscrit parmi les plus grands romans d'apprentissage de la littérature universelle. Kafka Tamura, quinze ans, fuit sa maison de Tokyo pour échapper à la terrible prophétie que son père a prononcée contre lui. Nakata, vieil homme simple d'esprit, décide lui aussi de prendre la route, obéissant à un appel impérieux, attiré par une force qui le dépasse. Lancés dans une vaste odyssée, nos deux héros vont croiser en chemin des hommes et des chats, une mère maquerelle fantomatique et une prostituée férue de Hegel, des soldats perdus et un inquiétant colonel, des poissons tombant du ciel, et bien d'autres choses encore... Avant de voir leur destin converger inexorablement, et de découvrir leur propre vérité.



Miettes :

Une fois la tempête passée, tu te demanderas comment tu as fait pour la traverser, comment tu as fait pour survivre. Tu ne seras pas très sûr, en fait, qu’elle soit vraiment achevée. Mais sois certain d’une chose : une fois que tu auras essuyé cette tempête, tu ne seras plus le même. Tel est le sens de cette tempête

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J’observe sa silhouette, son allure, sa démarche. Ses gestes ont une élégance naturelle. Je ne sais pas trop comment exprimer ça, mais il y a quelque chose de spécial en elle. C’est comme si sa silhouette vue de dos essayait de me dire quelque chose. Quelque chose qu’elle ne peut pas me dire de face. Seulement, j’ignore ce que c’est. Il y a tant de choses que j’ignore.

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Dans cent ans, plus une seule de ces personnes, y compris moi, ne sera sur cette terre. Nous serons tous redevenus cendre ou poussière. À cette idée, je me sens bizarre. Tout ce qui m’entoure me semble éphémère, illusoire, prêt à disparaître dans un souffle de vent, j’écarte mes mains et les examine. Pourquoi est-ce que je me donne tout ce mal ? Pourquoi s’efforcer si désespérément de survivre ?

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Mais tu comprendras avec le temps. On se lasse très vite de ce qui n’est pas ennuyeux, alors que les choses dont on ne se lasse pas sont généralement ennuyeuses. C’est comme ça. Même si j’ai eu le temps de m’ennuyer dans la vie, je ne me suis jamais lassé de ce que j’aimais. La plupart des gens ne savent pas faire la différence.

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Il se passe beaucoup de choses autour de moi. Certaines que j’ai choisies, d’autres non. Mais je ne perçois plus très bien la différence entre les deux. C’est-à-dire, même ce que je crois choisir de ma propre volonté me semble avoir été déterminé d’avance. J’ai l’impression de suivre un chemin que quelqu’un d’autre a déjà tracé pour moi. J’ai beau essayer de comprendre, cela me semble complètement inutile. Ou plutôt, j’ai l’impression que plus je fais d’efforts pour comprendre, moins je suis moi-même. Comme si je m’éloignais de ma propre trajectoire. C’est terrible comme sensation. Cela me fait peur. Rien que d’y penser, je me sens pétrifié.

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Mademoiselle Saeki a disparu, ne laissant derrière elle qu’un oreiller mouillé de larmes. Tu poses la main sur ce tissu humide et tu regardes le ciel blanchir par la fenêtre. Au loin, tu entends crailler un corbeau. La Terre continue lentement de tourner. Au-delà de ces détails, chacun vit dans ses rêves.

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Tu sais, Kafka, la plupart des gens dans le monde ne veulent pas vraiment être libres. Ils croient seulement le vouloir. Pure illusion. Si on leur donnait vraiment la liberté qu’ils réclament, ils seraient bien embêtés. Souviens-toi de ça. En fait, les gens aiment leurs entraves.

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Jusqu’à un certain point, naturellement. Jean-Jacques Rousseau disait que la civilisation naît quand les gens commencent à construire des barrières. Une remarque très perspicace. C’est vrai : toutes les civilisations sont le produit d’une restriction de la liberté que l’on a délimitée avec des barrières. Mis à part les Aborigènes d’Australie qui ont maintenu jusqu’au dix-septième siècle une civilisation sans barrières. C’était un peuple profondément libre, ils allaient où ils voulaient, quand ils voulaient et faisaient ce qu’ils voulaient. Leur vie était littéralement une marche errante. Et cette errance était une métaphore parfaite de leur vie. Et puis les Anglais sont arrivés et ont élevé des clôtures pour enfermer le bétail. Comme les Aborigènes n’ont pas compris le sens de cette démarche, ils ont été considérés comme dangereux et antisociaux et ont été refoulés vers la brousse. Voilà pourquoi il faut que tu fasses attention, Kafka Tamura. Finalement, dans ce monde, ce sont ceux qui dressent les plus hautes barrières qui survivent le plus sûrement, et si tu nies ce principe, tu seras refoulé vers la brousse.

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Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses, déclare-t-il quand la sonnerie a enfin cessé de retentir. Des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu’on ne pourra pas retrouver. C’est cela aussi, vivre. Mais à l’intérieur de notre esprit – je crois que c’est à l’intérieur de notre esprit, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque. 


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