lundi 6 avril 2015

Tristesse de la Terre - Eric Vuillard - *****

Tristesse de la terre est le récit de la naissance de l'industrie du spectacle à travers la vie de Buffalo Bill et de son fameux Wild West Show. Ce spectacle colossal sera vu par quelques 70 millions de spectateurs au cours de la vingtaine d'années de tournée à travers le monde.
Mais ce livre n'est pas simplement un récit historique. Eric Vuillard nous fait entrer dans l'intimité de ce William Cody qui n'aura de cesse de construire sa propre légende (il n'a participé à aucune des batailles/massacres pseudo-reconstituées) et de réinventer l'histoire des Etats-Unis, la glorification du cow-boy passant par l'escamotage du génocide indien.
Un excellent livre sur la facticité servi par une très belle plume.

Le début du roman:

LE SPECTACLE est l’origine du monde. Le tragique se tient là, immobile, dans une inactualité bizarre. Ainsi, à Chicago, lors de l’Exposition universelle de 1893 commémorant les quatre cents ans du voyage de Colomb, un stand de reliques, installé dans l’allée centrale, exposa le cadavre séché d’un nouveau-né indien. Il y eut vingt et un millions de visiteurs. On se promenait sur les balcons de bois de l’Idaho Building, on admirait les miracles de la technologie, comme cette colossale Vénus de Milo en chocolat à l’entrée du pavillon de l’agriculture, et puis on se payait un cornet de saucisses à dix cents. D’innombrables bâtiments avaient été construits, et cela ressemblait à une Saint-Pétersbourg de pacotille, avec ses arches, ses obélisques, son architecture de plâtre empruntée à toutes les époques et à tous les pays. Les photos en noir et blanc que nous en avons donnent l’illusion d’une ville extraordinaire, aux palais bordés de statues et de jets d’eau, aux bassins où descendent lentement des escaliers de pierre. Pourtant, tout est faux.
Mais le clou de l’Exposition universelle, son apothéose, ce qui devait attirer le plus de spectateurs, ce furent les représentations du Wild West Show. Tout le monde voulait le voir. Et Charles Bristol aussi – le propriétaire du stand de reliques indiennes qui exhibait le cadavre d’enfant – voulait tout laisser là pour y aller ! Pourtant, il le connaissait ce spectacle, puisqu’au tout début de sa carrière, il avait été manager et costumier pour le Wild West Show. Mais ce n’était plus pareil, c’était à présent une énorme entreprise. Il y avait deux représentations par jour, pour dix-huit mille places. Les chevaux galopaient sur un fond de gigantesques toiles peintes. Ce n’était plus cette vague succession de rodéos et de tireurs d’élite qu’il avait connue, mais une véritable mise en scène de l’Histoire. Ainsi, pendant que l’Exposition universelle célébrait la révolution industrielle, Buffalo Bill exaltait la conquête.

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