mardi 14 juillet 2015

Spinoza encule Hegel - Jean-Bernard Pouy - *****

Mad max était français ! (écrit avant mais publié en 83) Excellent !

Présentation:

Moi, Julius, Commandeur du groupe crash le plus honni par le peuple saumâtre des hégéliens, n'ai que des ennemis. Et mon pire ennemi, je lui souhaite la pire des choses. Moral car prévisible. Quand il sera au bout de mon P. 38, j'appuierai sur la détente. Mes bottes de lézard mauve vont tremper dans du sang esthétique. Normal car spinoziste.

Quelques miettes :

Le cadavre est au bord de la route, une de ses mains est prise dans le bitume gluant. Le vent puant, venant d’une décharge proche, agite faiblement ses cheveux blancs, dont certains restent eux aussi collés au goudron. C’est l’été, le deuxième après le grand merdier. Je retourne le mort du bout de ma botte de lézard mauve. C’est bien ce que j’attends, un Néo-Punk. Sa poitrine est lacérée, tranchée à vif, le cœur expulsé, la veste de daim vert imbibée de sang comme une éponge, le corps nu de la taille aux pieds. Intactes, ses jambes blondes paraissent de porcelaine.
Pensif, je regarde la plaine vide et la route droite. C’est la cinquième fois que j’en retrouve un cette semaine, pareillement mort et trafiqué. À ce train-là, la bande des Néo-Punks va friser le zéro absolu. Je me penche et embrasse le jeune mort sur les lèvres, mais ce n’est décidément qu’un cadavre. Je me vois me redresser dans ses lunettes noires. Je marche sombrement sur le bord de la route en écartant lentement du pied des vieilles boîtes de plastoc qui traînent. Mes mecs, derrière, ne bougent pas, les motos sont silencieuses, seules les selles grincent, le camion est au point mort, quelques raclements.

***

Le soir tombe. Il fait rose et tiède. Je fume une cigarette, mes bras passés autour de mes jambes. Je regarde le lointain pour ne rien voir. Il pourrait s’élever une musique comme le début de la Septième de Mahler. Cela serait superbe. Devant moi, il n’y a plus rien. Je ne vais pas me remettre à l’usage. Les groupes, c’est fini. Ils vont se faire ratatiner un à un, et ne réussiront même pas à se liguer pour faire front une dernière fois. Ils sont interdits à la vie et permis pour la mort. Je ne vais pas assister à cette lente décadence, à ce déchet exaspérant. Je ne vais pas revenir à Paris, pour être complice de la reprise. Je ne veux plus avoir à me trouver une couverture, un travail ou une occupation. Je ne veux plus quémander, je ne veux plus attendre des remerciements de fin de mois, de fin de carrière, de fin de vie. Être con trois cent soixante jours par an et être remercié de l’avoir été. Je ne vais pas me mettre à rechercher des amis, en me foutant intérieurement de leurs poires, je ne vais pas charmer une compagne pour sentir sa peau et embrasser son corps, pour lui confier des peines que je n’aurai plus et des espoirs que je ne peux plus avoir.
Je ne suis plus capable ni d’amour, ni de haine, ni de compassion, ni de regret.
Je suis plat
froid
viscéral
non disponible.
Je suis moi, moi et encore moi, Julius Spinoza. J’ai une histoire qu’il ne s’agit pas de gommer. Le pouvoir, je vais l’exercer sur moi-même et seulement sur moi-même. La plus haute stratégie est de ne faire confiance à personne et ne compter que sur un être : soi-même, c’est-à-dire moi, avec mes bottes de lézard mauve, mes deux revolvers, ma tête emplie de vent glacial, mon visage acéré qui a vu la belle mort, mes tripes qui se nouent, mon sexe qui ne sait plus. À schizo, schizo et demi.
Je vais rôder. Seul dans les campagnes de France dont le vert légendaire vire au brun maladif. Seul dans les collines érodées par la médiocrité de mes semblables. Seul dans les banlieues puantes et désertes où les usines saccagées attendent impatiemment leurs esclaves forcenés. Seul face à la boulimie recommencée. Seul face au monde nouveau.




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