vendredi 17 juillet 2015

Vernon Subutex 2 - Virginie Despentes - *****

Vivement le troisième...

Présentation:

QUI EST VERNON SUBUTEX ?
Une légende urbaine.
Un ange déchu.
Un disparu qui ne cesse de ressurgir.
Le détenteur d’un secret.
Le dernier témoin d’un monde disparu.
L’ultime visage de notre comédie inhumaine.
Notre fantôme à tous.







Miettes:

Il aimerait se faire pitié, ou horreur. Quelque chose. Mais rien. Que cette tranquillité absurde.

***

Mais les mecs sont devenus tous identiques, on dirait qu’ils prennent des cours du soir pour se ressembler le plus possible. Si on ouvrait le cerveau de Laurent en deux pour lui regarder la mécanique, on y trouverait exactement le même arsenal de conneries que dans celui du cadre sup en détresse qui fait ses abdos à côté d’eux : des petites poulettes ultra light, de la verroterie Rolex et une grosse maison sur la plage. Que des rêves de connard.
Il existe une différence de taille entre sa génération et celle de Laurent. La sienne n’adulait pas les bourgeois. Quoi qu’ils en disent, les prolos d’aujourd’hui voudraient tous être nés du bon côté du manche. A Lessines, où il a grandi, les sirènes des carrières rythmaient le temps. On méprisait les bourgeois du haut de la ville. On ne buvait pas avec le patron. C’était la loi. Dans les bistrots, ça ne parlait que de politique, la haine de classe nourrissait une véritable aristocratie prolétaire. On savait mépriser le chef. Tout cela a disparu, en même temps que l’amour du travail bien fait. Il n’y a plus de conscience ouvrière. Tout ce qui les intéresse, les gars, c’est ressembler au chef. Un mec comme Laurent, si on lui laissait carte blanche, ce qu’il désire n’est pas de forcer les nantis à partager mais d’entrer dans leurs clubs. Uniformité des désirs : tous des beaufs. Ça fera de la bonne chair à canon, ça.

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Tant que personne n’était là pour voir comment elle vivait, elle pouvait prétendre, sans vraiment mentir, qu’elle menait une existence assez riche. Une existence qui permettait de ne pas se plaindre. C’est ce qui lui fait le plus peur : passer pour une victime. Mais si elle considère son quotidien à travers les yeux d’une tierce personne, ça se complique. Son boulot est pourri. Elle accepte n’importe quels horaires. Parce qu’elle a peur de se faire mal voir. Il verrait l’absence d’amis, et même de relations. Aucune fête, d’aucune sorte. Il verrait ses flirts Internet. Les rendez-vous avec des inconnus rencontrés sur Meetic, pour lesquels elle passe des heures à se préparer s’épiler se maquiller se coiffer s’habiller, avant de ne lire dans les yeux de celui qui la découvre que de la déception. Son âge ne passe plus. Qu’est-ce qu’il verrait d’autre, Vernon ? Sa cuisine, cet endroit qu’elle cajole tant. Un mur de tisanes. Un bar d’huiles bio. Et partout, les objets de la gaieté, toutes ces couleurs acidulées – magnets sur le frigo, salières en forme de Mickey, boîtes en fer aux motifs 50’s… une accumulation de signes de détresse : plus elle cherchait à amasser les marqueurs de pimpance, et plus elle soulignait sa détresse profonde. Elle n’a même pas un chat pour lui tenir compagnie. Le soir, elle arrive, elle allume la télé direct. Et elle se sert un verre. Dans cet ordre.

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La vérité était qu’il ne supportait plus, physiquement, ni les murs ni le plafond, il respirait mal, les objets l’agressaient, une vibration nocive le harcelait. Le pire, c’était encore la présence des gens autour de lui. Il sentait leur misère, leurs douleurs, leur peur panique de ne pas être à la hauteur, d’être démasqué, puni, de manquer ; il avait l’impression que c’était comme un pollen : ça s’infiltrait en lui et le gênait pour respirer. Ce qui fait que non, vraiment, sans façon, il n’avait aucune envie de s’installer chez l’un ou chez l’autre. Désormais, il avait besoin d’espace. Et de solitude.

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— C’est pas ça, copine… l’adoption, la PMA, le mariage – je suis contre pour tout le monde. Je suis favorable à la stérilisation de l’ensemble de la population, dès la puberté. On est sept milliards. Tu crois pas que ça suffit comme ça ? Il faut ralentir la cadence, urgemment. Je vois les gens avec des poussettes, je regarde leurs gueules, et je me dis : mais pourquoi ? Qu’est-ce que vous croyez que vous faites, là, à vous reproduire ? On n’a pas besoin de votre génétique à la con, arrêtez la mégalomanie. Faites de la peinture si vous voulez vous occuper. Mais ne nous faites pas chier avec votre progéniture. Si on me demandait mon avis, je te collerais tout ça dans un stade : vasectomie, ablation de l’utérus, et rentrez tous chez vous… Sept milliards, et ils continuent d’infecter la planète… Le jour où on défile pour la stérilisation de l’humanité, tu me verras dehors tous les jours. Et pas en terrasse, j’aime autant te dire.

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A droite, c’est les mêmes clowns qu’à gauche. Mais on peut leur reconnaître une chose : ils sont plus sincères. Les humains sont des merdes. Tout ce qu’ils aiment, c’est se faire diriger. Punir, récompenser, guider. La nature de l’homme, c’est de tuer son prochain. C’est à ça qu’on reconnaît la supériorité d’une civilisation sur une autre : qui a la plus grosse arme. Si tu mets dans une ville trois familles de religions différentes et que tu laisses faire comme ça vient, tu leur laisses une génération, et ils commencent à s’entretuer. Les ego fonctionnent comme des bites : aucune conscience ne peut empêcher que ça se tende. C’est pas la peine de faire comme si on n’était pas une engeance de merde. La seule chose qui peut empêcher que les humains ne s’entretuent, c’est de les tenir. Il faut un chef. C’est ce que réclame le peuple. Le chef est celui qui dit : lui, on le tue ; lui, on le récompense. Et alors tout le monde est content. Au final, que le leader se réclame de telle obédience ou d’une autre, on s’en fout. Ce qui fait kiffer le mâle alpha, c’est le pouvoir. Il peut l’appuyer sur le livre de son choix, au final c’est toujours le même bazar.

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