samedi 2 mai 2015

Lettres à Voltaire - Madame du Deffand - ***

Miettes:

Mais, monsieur de Voltaire, amant déclaré de la vérité, dites-moi de bonne foi, l’avez-vous trouvée ? Vous combattez et détruisez toutes les erreurs ; mais que mettez-vous à leur place ? Existe-t-il quelque chose de réel ? Tout n’est-il pas illusion ?

***

Votre dernière lettre (dont vous ne vous souvenez sûrement pas) est charmante. Vous me dites que vous voulez que je vous fasse part de mes réflexions. Ah ! monsieur, que me demandez-vous ? Elles se bornent à une seule : elle est bien triste ; c’est qu’il n’y a, à le bien prendre, qu’un seul malheur dans la vie, qui est celui d’être né. Il n’y a aucun état, quel qu’il puisse être, qui me paraisse préférable au néant. Et vous-même, qui êtes monsieur de Voltaire, nom qui renferme tous les genres de bonheur, réputation, considération, célébrité, tous les préservatifs contre l’ennui, trouvant en vous toutes sortes de ressources, une philosophie bien entendue, qui vous a fait prévoir que le bien était nécessaire dans la vieillesse ; eh bien, monsieur, malgré tous ces avantages, il vaudrait mieux n’être pas né, par la raison qu’il faut mourir, qu’on en a la certitude, et que la nature y répugne si fort que tous les hommes sont comme le bûcheron.
Vous voyez combien j’ai l’âme triste, et que je prends bien mal mon temps pour vous écrire ; mais, monsieur, consolez-moi ; écartez les vapeurs noires qui m’environnent.

***

Toutes les conditions, toutes les espèces me paraissent également malheureuses, depuis l’ange jusqu’à l’huître ; le fâcheux, c’est d’être né, et l’on peut pourtant dire de ce malheur-là que le remède est pire que le mal.

***

Je charmerai ce soir M. Hume, en lui lisant votre lettre. Vous êtes content de ses ouvrages, vous le seriez de sa personne ; il est gai, simple et bon. Les esprits anglais valent mieux que les nôtres, c’est bien mon avis ; je ne leur trouve point le ton dogmatique, impératif ; ils disent des vérités plus fortes que nous n’en disons ; mais ce n’est pas pour se distinguer, pour donner le ton, pour être célèbres. Nos auteurs révoltent par leur orgueil, leurs bravades ; et quoique presque tout ce qu’ils disent soit vrai, on est choqué de la manière, qui sent moins la liberté que la licence ; et puis ils tombent souvent dans le paradoxe et dans les sophismes, et c’est mon horreur. Jean-Jacques m'est antipathique, il remettrait tout dans le chaos ; je n’ai rien vu de plus contraire au bon sens que son Émile, rien de plus contraire aux bonnes mœurs que son Héloïse, et de plus ennuyeux et de plus obscur que son Contrat social.

***

Vos philosophes, ou plutôt soi-disant philosophes, sont de froids personnages : fastueux sans être riches, téméraires sans être braves, prêchant l’égalité par esprit de domination, se croyant les premiers hommes du monde, de penser ce que pensent tous les gens qui pensent ; orgueilleux, haineux, vindicatifs ; ils feraient haïr la philosophie.

***

Il n’y a plus de gaieté, monsieur, il n’y a plus de grâces. Les sots sont plats et froids, ils ne sont point absurdes ni extravagants comme ils étaient autrefois. Les gens d’esprit sont pédants, corrects, sentencieux. Il n’y a plus de goût non plus ; enfin il n’y a rien, les têtes sont vides, et l’on veut que les bourses le deviennent aussi. Oh ! que vous êtes heureux d’être Voltaire ! vous avez tous les bonheurs ; les talents, qui font l’occupation et la réputation ; les richesses, qui font l’indépendance.

***

Si c’est la philosophie qui donne le dégoût du monde, je suis une grande philosophe. Rien ne me retient ici, et je n’ai pour y rester d’autres raisons que celle de la chèvre : où elle est attachée, il faut qu’elle broute.

***

Où prenez-vous que je hais la philosophie ? Malgré son inutilité, je l’adore ; mais je ne veux pas qu’on la déguise en vaine métaphysique, en paradoxe, en sophisme. Je veux qu’on nous la présente à votre manière, suivant la nature pied à pied, détruisant les systèmes, nous confirmant dans le doute, et nous rendant inaccessibles à l’erreur, quoique sans nous donner la fausse espérance d’atteindre à la vérité ; toute la consolation qu’on en tire (et c’en est une), c’est de ne pas s’égarer, et d’avoir la sûreté de retrouver la place d’où l’on est parti. À l’égard des philosophes, il n’y en a aucun que je haïsse ; mais il y en a bien peu que j’estime.

***

Je regarde les ambitieux comme des fous, et les places qu’ils occupent comme des rôles qu’ils jouent bien ou mal. Je vois tout ce qui se passe du même œil que le verra la postérité ; j’y vois Voltaire, le seul bel-esprit de ce siècle, qui aurait dû y servir de modèle, dicter les règles du bon goût, et qui par facilité a protégé ceux qui le détruisent. J’y vois un tas de philosophes qui, parce qu’ils ne croient pas des fables, se persuadent être fort éclairés, et devoir être législateurs, mais dont la vanité, l’orgueil et la suffisance décréditent leur morale. Je pense quelquefois à la croyance qu’on doit donner à l’histoire, et à l’idée qu’elle peut donner des hommes dont elle parle ; ils pourraient bien peut-être avoir été semblables à ceux d’aujourd’hui. Enfin, pendant notre vie, nous sommes acteurs ou spectateurs ; la toile baissera bientôt pour nous ; vous pouvez y avoir du regret. Pour moi, mon cher, Voltaire, je n’y en aurai point ; j’ai trop vu le derrière des coulisses. Une seule chose pourrait attacher à la vie : ce serait de véritables amis, et c’est ce qui n’existe point.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    M’étant régalé de vos citations de Mme du Deffand, et vu votre intérêt pour Cioran, Roland Jaccard et autres joyeux pessimistes, permettez-moi de vous offrir mon petit pamphlet contre la procréation : il pourrait vous amuser.

    Vous pouvez le télécharger ici :
    http://theophiledegiraud.e-monsite.com/
    http://theophiledegiraud.e-monsite.com/medias/files/manifeste-anti-nataliste.pdf

    En vous souhaitant une souriante soirée,

    Meilleures salutations,

    Théophile

    RépondreSupprimer